Vitry en Mieux est dans Libé

libération16 mars 2014
A Vitry, un fort courant alternatif
Jacques Perreux, candidat EELV pour les elections municipales a Vitry sur seine, le 11 mars. ACCORD
INTERNET Commande 2014 0340 (Photo Albert Facelly pour Libération)
REPORTAGE. Dans la banlieue rouge parisienne, Jacques Perreux,
candidat d’Europe Ecologie-les Verts, à la tête d’une liste atypique
prônant la participation citoyenne, pourrait faire tomber le maire PCF.
PAR MATTHIEU ÉCOIFFIER PHOTO ALBERT FACELLY

Dans cette élection municipale en berne, il est des endroits où des citoyens se bougent. Et
font une campagne inventive et participative pour changer la donne. C’est le cas à Vitry
(Val-de-Marne), à l’ouest de Paris. Dans cette ville de 87 000 habitants de la ceinture
rouge, où la droite est ultraminoritaire et sans élus, Alain Audoubert, le maire PCF sortant,
soutenu par le PS, se voit sérieusement contesté par la Fabrique citoyenne. Une liste
atypique, à l’image de son animateur, Jacques Perreux, conseiller régional et général
Europe Ecologie-les Verts, qui se dit «coco devenu écolo dans le mouvement
altermondialiste». Et qui pourrait faire tomber cette ville dans l’escarcelle verte, comme
Voynet à Montreuil en 2008.
Mardi après-midi. «Je vous offre des fleurs», dit Jacques Perreux au patron de la pizzeria
libanaise, en lui tendant une enveloppe de graines frappée du logo «Vitry en mieux». A ce
proche de José Bové (il fut son directeur de campagne «antilibérale» à la présidentielle de
2007), on fait remarquer que distribuer des petites graines à ses potentiels administrés est
assez osé. Et que le slogan «On sème pour la vie», outre sa naïveté publicitaire, a un
sous-texte libertaire assez réjouissant. L’intéressé assume, assure que sa liste a le mojo
électoral. «Il n’y a aucun sondage, mais je pense qu’on doit être dans la zone des 15-25%.
Il y a une sympathie pour moi et un rejet d’Audoubert. On a un maire coco de 72 ans, usé
jusqu’à la corde. Il est méprisant et arrogant, et a dû parler mal à des milliers de
Vitriots. Je n’avais pas mesuré son impopularité», balance le candidat. Le pouvoir des fleurs
et du débat ? Il y croit. «Je pense qu’il faut donner un petit coup dans la fourmilière»,
confirme Jeanine Honoré, vétérante du PCF, entrée en dissidence à 85 ans pour soutenir ce
«collectif diversifié» face aux «oeillères» du maire.
Halal. Des alters, Perreux a adapté les pratiques à l’échelon municipal : forums et
décisions au consensus. Dans le local de la Fabrique, une ancienne boutique, 300 Vitriots
carburent depuis novembre pour échafauder un projet alternatif. A chaque question, une
discussion. Dans les cantines scolaires, 30% du contenu des assiettes part
systématiquement à la poubelle ? «Beaucoup d’enfants ne mangent pas la viande parce
qu’elle n’est pas halal. Il y a eu un vrai débat avec les gens de culture musulmane»,
raconte le candidat. Résultat : «On propose un repas avec ou sans viande, pour laisser le
libre choix à ceux qui n’en mangent pas pour des raisons sanitaires, végétariennes ou
confessionnelles.» Façon de chercher le compromis entre cocos prolos, bobos écolos et
populations d’origine maghrébine, africaine et asiatique qui cohabitent dans la ville. Et sur
la liste citoyenne, composée pour les deux tiers de citadins non encartés – dont douze
présidents d’associations – et pour le reste d’élus (dont huit EE-LV) et d’ex-militants
communistes, socialistes et mélenchonistes. «Les gros dossiers qui se règlent en conseil
municipal à trois ou quatre, ce n’est plus possible», tonne Jeanine. La construction de 13
000 logements prévue d’ici à 2030 dans le cadre d’une opération d’intérêt national ? «On
veut engager un bras de fer pour obtenir de l’Etat la création de deux emplois pour un
logement. Le maire dit qu’on ne peut conditionner les aides», indique Perreux. A Vitry, où le
PCF a 27 élus et la majorité absolue, il n’y a guère de débat. La Fabrique propose une
saisine du conseil municipal par voie de pétition dès que 600 Vitriots en feront la demande.
Et compte rouvrir le restaurant désaffecté à l’entrée du pont suspendu qui ressemble à
celui de Brooklyn. Et les cabines de bain au bord du fleuve.
Calvados. Ce jour-là, dans sa Fiat Panda, Perreux arpente la ville aux 8 000 pavillons et
aux immeubles de 8 à 18 étages. Arrivé en 1970 pour travailler comme ingénieur chimiste,
ce fils de boulanger conservateur du Calvados n’en est jamais reparti. Sur l’avenue Youri-
Gagarine, il croise Pierre Lafrance, militant du Front de gauche : «Etre élu, je sais pas,
mais Perreux a une chance de faire un bon score. C’est une des listes les plus jeunes qui a
plein d’idées et fait une campagne colorée et vivante. Au moins, ça va obliger à une grosse
secousse.»
Lui aurait préféré une liste PCF-mélenchonistes mais l’alliance du maire avec les socialistes
a provoqué la candidature autonome de Bertrand Potier pour le Parti du gauche. «La seule
chose qui fait chier, c’est que le FN ait réussi à présenter onze listes dans le département.
Avec pas mal de femmes mariées qui prennent leur nom de jeune fille et les hommes leur
second prénom, dénonce Rached Tombari, sociologue et colistier. Ils ne vont pas se pointer
au marché et vont avoir des voix sans campagne.» Face à la droite et au FN, Alain
Audoubert joue la carte de l’union de la gauche. «Il est seulement maire depuis 1995,
précise Thierry Barre, responsable de la section PCF. Avec Djamel, son camarade, ils
sillonnent Vitry en Clio pour coller partout l’affiche du maire sur fond vert «Vitry ensemble,
solidaire, dynamique et écologique». Et recouvrir celles de Perreux : «On tient les murs, il
faut qu’il n’y ait qu’un seul message.» «On se croirait en Tunisie, y a Ben Ali partout !»
rigole Rached Tombari.

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